Journal d’un Petit Berbère
148000 mots
Autobiographie
Cette oeuvre est déjà diminuée de 4 livres qui forment Le bal des mouches (300 pages). J’ai encore beaucoup de notes à l’état brut depuis 2014 la dernière année où je l’ai mis à jour. J’ignore si un jour je le finirais tout comme ce n’est pas mon but de le publier. Il m’a servi d’éxutoire et servirait de Mémoire à ma descendance.

1er avant-propos

Pour couper court aux divagations que susciterait cette œuvre, comme beaucoup d’œuvres mémorialistes, en cas de publication, je veux qu’on sache, notamment mes chers lecteurs, les plus importants pour moi, que je n’avais aucune intention de me venger ni de régler mes comptes avec ma société. Si j’avais voulu cela, j’aurais mis des noms. J’avais effacé la vengeance de mon registre dès mes premières lectures des classiques des siècles des lumières (on dit siècle des lumières), entre vingt-cinq et trente ans. C’est un peu tard pour moi, mais je puis vous assurer que j’étais très en avance sur beaucoup de mes concitoyens. Aussi, dans l’état actuel de l’œuvre, pour identifier les coupables, il faudrait une longue enquête minutieuse et l’on ne réussirait pas, soit-on une personne de mon village.

Je naquis le 20 décembre 1960 dans un village de Kabylie, dans les hauteurs limitrophes du massif du Djurdjura. C’était la fin de la fameuse « opération jumelle » du général de Gaulle, lancée pour éradiquer les maquis de Kabylie qu’on savait le moteur de l’ALN. On tua dans la seule Kabylie quinze mille victimes, la plupart des maquisards.

Au maquis on vivait le déluge de feu. Dans les villages on endurait les accrochages, les encerclements et les rassemblements avec en plus des scènes des viols de femmes, souvent les belles et farouches montagnardes. À la moindre alerte, celles-ci se cachaient dans les abris ou se maculaient, pour celles qui manquaient de coin protégé, la figure avec de la boue ou de la bouse de vache. Peine perdue puisque les soldats noirs que ramenaient les Français, les fameux tirailleurs sénégalais, n’épargnaient pas même les vieilles femmes et les paraplégiques.

Mon village vécut bien des rassemblements à cause de son groupe de maquisards nombreux et actif. Ma mère tressaillait à la moindre alerte et se rendait au rassemblement avec la peur au ventre. Le reste du temps elle s’inquiétait pour son mari qui était un membre actif de l’OCFLN, l’organisation civile, dont il ne reçut pas même une reconnaissance. Mais c’était moi qui subissais les secousses. C’étaient alors la fin de l’« opération jumelle » ; j’étais donc déjà un soldat dans le ventre de ma mère.  On y trouverait, peut-être, l’explication de mon calvaire et de ma ligne d’écriture.

Je n’accepterais pas que l’on comparât mon calvaire par les miens à celui d’un quelconque militant de la cause berbère. Cet écrit est juste une contribution modeste aux Mémoires d’une cause, la cause berbère, ma cause qui souffre de ce genre d’œuvre qui aura entretenu un lien étroit entre les générations et donné certainement des résultats positifs au lieu de la débâcle actuelle. Je pensais à Ouali Benaï, à Mohamed Haroun, à Ferhat Mehenni, et à tant d’autres berbéristes, les uns torturés dans les geôles du régime berbérocide d’Alger, les autres liquidés physiquement, dont, hélas, je ne peux citer les noms faute de place pour les uns. Malgré qu’ils fussent à majorité des universitaires, parlant des meneurs, ils n’avaient jamais laissé de traces écrites sur leur combat et les maux qu’on leur avait fait subir, ils n’ont laissé que l’oral qui se meurt d’année en année. Cette situation est incompréhensible. Bien que l’on n’aime pas parler de soi, la cause berbère avait grandement besoin de ce genre d’écrit, de leurs écrits, et n’avait que faire de leur modestie.

Toutefois, moi-même je n’avais jamais cru qu’un jour je parlerai de moi dans mes écrits. Je détestais parler de ma personne même lors des discutions. Les fois où j’avais dérogé à la règle, c’était pour faire rire ou nourrir la conversation, encore des choses sans importance. Certes, si je n’avais pu empêcher mon moi de s’exprimer à travers mes œuvres, c’était pour la cause berbère ou que c’était en dehors de ma volonté. Cette fois aussi je le ferai, guidé par la cause berbère, ma cause, une cause juste et noble, car on oublie souvent que le mal que nous cause le proche est le plus douloureux que celui de l’ennemi ou de l’étranger. En effet, si le mal de ce dernier est de bonne guerre, celui du proche transforme l’estime en une haine sans borne, une douleur insupportable, qui génère souvent des conséquences graves.

Cette situation avait conduit bien des Kabyles à renier volontairement les leurs quand ils ne se retournaient pas contre eux et par extension contre leur cause, la cause berbère en ce cas. Je cite l’exemple des Kabyles du Pouvoir, dont le plus illustre était celui d’Ahmed Ouyahia, trois fois Chef du gouvernement, qui avait déterré la loi portant généralisation de la langue arabe et l’avait brandi au moment où la Kabylie vivait ses plus durs moments, les émeutes de 2001, appelé Printemps noir qui s’était soldé par cent vingt-cinq victimes, des milliers de blessés et des dégâts incommensurables. Nous ignorons ce passé d’Ouyahia à l’exception du fait que son père, un pauvre malheureux, vivait de la fabrique manuelle de selles de bourricots. Lounès Matoub en avait parlé indirectement dans une de ses chansons où il vilipendait ce « harki » des temps modernes.

Je ne peux omettre le cas du non moins célèbre chanteur El-Hasnaoui qui s’était exilé définitivement de la Kabylie puis du pays à cause de son échec en amour, comme cela était de coutume alors, ou « des poux qui l’envahissaient suite à sa belle-mère qui l’avait délaissé au profit de ses enfants à elle », dont la faute revient aussi au père, une situation qui fait vraiment mal. Certes, El-Hasnaoui n’avait pas oublié sa culture et lui avait donné une œuvre musicale originale et digne d’intérêt, une œuvre que j’apprécie beaucoup.

Malheureusement, la quasi majorité des victimes ne sont pas des El-Hasnaoui, sont plutôt des Ouyahia. Il faut une grande force pour transcender son mal, une force qui n’est pas donnée à beaucoup. Mais on peut le sublimer comme dans le refoulement de Freud : lui donner un but plus haut. C’est grâce à cette méthode que j’avais réussi en grande partie.